Site icon L'Intelligence économique

Carnage et Culture

Carnage et culture
Temps de lecture : 4 minutes

« Carnage and Culture » est un ouvrage magistral qui s’appuie sur une multitude de sources pour répondre à une question complexe : pourquoi l’Occident a-t-il dominé l’art de la guerre par rapport aux autres peuples ? Depuis la Grèce antique il y a 2500 ans, les armées occidentales ont remporté la plupart des guerres, ont produit les meilleures armes et ont formé les armées les plus disciplinées. Victor Davis Hanson soutient que cette supériorité est due à un concept unique de soldat-citoyen développé par la culture occidentale, ainsi qu’à une volonté constante de résoudre les conflits par des batailles décisives basées sur le choc d’infanterie. Bien que cette approche ait produit les plus grands carnages sur le champ de bataille, elle a également conduit à des victoires décisives qui ont façonné l’histoire.

Ce livre de 550 pages en format poche, écrit en tout petit, dissémine cet argumentaire au long de neuf récits de batailles passionnants. Ces récits vont des Grecs à Salamine aux Marines à Saigon, et présentent les enjeux de chaque bataille, leur déroulement militaire et les leçons qu’il faut en tirer. Il s’agit d’une analyse complète de la façon dont la société occidentale fait la guerre, plutôt qu’un simple livre sur la stratégie militaire de l’Occident. Il est important de noter que l’auteur, Victor Davis Hanson, ne prend jamais parti. Il énonce les faits et en tire des analyses, mais c’est au lecteur de juger du bien-fondé de la culture militaire occidentale.
Bien que le livre soit dense, il est captivant et peut prendre du temps à lire. Toutefois, les informations qui y sont présentées sont très enrichissantes et permettent de mieux comprendre l’histoire de la guerre et la culture occidentale en général. Il est fascinant de voir comment les récits de batailles sont utilisés pour illustrer les thèses plus larges de l’auteur. En somme, « Carnage et culture » est un livre essentiel pour ceux qui cherchent à mieux comprendre l’histoire militaire et la culture occidentale.
 Ainsi, afin d’expliquer les raisons de la suprématie militaire de l’Occident, M.Davis Hanson conceptualise 9 éléments significatifs constitutifs de sa culture que nous allons maintenant présenter brièvement.

Le culte de la bataille décisive

Au 8ème siècle avant JC, en Grèce, est apparue une pratique visant à résoudre rapidement et à moindre coût les conflits entre groupes de petits propriétaires terriens. Cette alternative à la bataille consiste en une série de campagnes visant à détruire les moyens de subsistance de l’ennemi, ce qui, s’il se prolonge, empêche les hommes de regagner leurs champs à temps.
La quête occidentale d’une bataille décisive et frontale est un facteur de supériorité par rapport aux cultures qui privilégient l’escarmouche, la razzia, le pillage et la mobilité, comme lors de la bataille de Gaugamela en 331 avant JC. Bien que les Perses aient réussi à percer la formation macédonienne, ils n’ont pas encerclé les phalanges pour les détruire, mais se sont précipités vers le camp ennemi pour le piller. En revanche, une fois que Darius était hors de portée, Alexandre s’est retourné contre la cavalerie perse pour la détruire.
Cependant, la quête occidentale d’une bataille décisive a fini par mener à une impasse. Au 20ème siècle, plus personne ne veut affronter les armées occidentales face à face, à l’exception des autres Européens. Dans les deux cas, la décision n’est ni rapide ni louable.
 
La recherche de la liberté

Les combattants occidentaux de la liberté sont des hommes libres, pas des esclaves. Cette liberté apporte une supériorité en termes de morale des troupes, comme on le voit avec les Grecs à Salamine en 480 av. Elle permet également de questionner le leader et de prendre des décisions collégialement, tout en favorisant la prise d’initiative.
 
Militarisme civique

Le modèle occidental du citoyen-soldat, caractérisé par le militarisme civique, reconnaît une grande résilience à l’Occident, de perdre des armées entières et d’en lever rapidement de nouvelles. Par exemple, lors de la bataille de Cannes en 216 av. J.-C., les Romains subissent une défaite écrasante face aux Carthaginois. Cependant, grâce à l’extension de la citoyenneté à tous ceux qui ont servi dans la légion et à l’instauration du service militaire, Rome parvient à lever une nouvelle armée.
C’est Rome qui a établi le modèle du citoyen-soldat occidental, qui comprend le droit de vote. Les conditions de service dans la légion sont codifiées par écrit, incluant des aspects tels que le salaire, la retraite et les sanctions.


Le capitalisme

Le capitalisme permet à l’Occident de produire des armes très efficacement. Les Occidentaux ont remporté la bataille de Lépante en 1571 parce que le capitalisme a permis à Venise de produire un grand nombre d’armes efficaces, à savoir des navires, sans que sa puissance ne dépende de ses ressources, de la taille du territoire ou de la population. Le capitalisme lui-même n’existe que grâce à la liberté politique et au rationalisme.


La discipline

La discipline, qui n’est pas l’obéissance aveugle, est ce qui permet aux hommes de se battre en ordre et de tenir leurs rangs. Il ne vient pas naturellement à l’homme et doit lui être inculqué à travers une longue et difficile formation.
 
Infanterie

L’Occident donne la primauté à l’infanterie lourde d’hommes libres inspirés de l’ancienne tradition de discipline et de collectivisme. La bataille de Poitiers en 732 illustre son efficacité contre la supériorité numérique, la cavalerie et les prouesses individuelles des musulmans. Il sera plus tard renforcé par l’utilisation d’armes à feu.


La technologie

Les Occidentaux ont pu exploiter leur domination technologique grâce à leur culture distinctive. Bien que la poudre à canon ait été inventée en Chine, ce sont les Européens qui ont réussi à développer les armes à feu à grande échelle, grâce à leur organisation économique (le capitalisme), leur liberté politique et leur tradition intellectuelle (le rationalisme) qui ont permis l’adoption et le développement de la technologie
C’est cette domination technologique qui permit à Cortes de s’emparer de Tenochtitlan en 1520-1521 malgré son importante infériorité numérique.
 
Enfin, l’individualisme de l’Occident permet une adaptation rapide dans tous les domaines, comme l’a démontré la bataille de Midway en 1942 où les Américains ont pu faire preuve de souplesse et d’hétérodoxie, contrairement aux Japonais qui étaient limités par leur culture rigide . Cependant, cet individualisme peut également conduire à une autocritique fréquente, qui bien que bénéfique pour améliorer les performances, peut entraver la conduite de la guerre en cours. En fin de compte, la culture occidentale permet une plus grande résilience et capacité de destruction, mais cela ne suffit pas à gagner les guerres.
 Ainsi, plutôt que de glorifier notre manière de faire la guerre, il est important de retenir les avantages et les limites de notre modèle de guerre, qui s’appuie sur une gamme d’institutions sociales.

Quitter la version mobile