Pékin est en train de renforcer sa présence numérique sur la scène internationale (Huang & Wang, 2019). Nous constatons une augmentation significative des comptes diplomatiques créés par les missions, les ambassades, les consulats et les diplomates chinois depuis mi-2019 lorsque la guerre économique et commerciale entre la Chine et les États-Unis a commencé à prendre de l’ampleur.
En 2018, nous avons lancé une étude exploratoire sur la digitalisation de la diplomatie publique chinoise. Il s’agit de comprendre la stratégie de publication sur les médias sociaux de Pékin dans le cadre de sa promotion des initiatives politiques à l’étranger (Huang & Arifon, 2018).
À partir d’une analyse netnographique des tweets publiés par les deux comptes Twitter des diplomates chinois à Bruxelles et à Ottawa en 2017, nous remarquons que les voix diplomatiques chinoises sur Twitter sont peu nombreuses et leurs discours sont en parfait unisson du fait du cadre politique très contraignant dans lequel elles s’expriment et conformément à l’éthos diplomatique. Pour autant, ces voix participent à l’évolution de la pratique diplomatique du gouvernement chinois d’un modèle purement propagandiste vers un modèle de diplomatie publique, polyphonique et capable d’articuler harmonieusement une grande diversité de registres, de contenus, en se présentant comme un infomédiaire de dépêches et d’articles d’agences de presse, ainsi que de communiqués officiels, mais aussi sur un mode mineur, mais non anecdotique des messages valorisant la Chine dans une perspective de soft power alors qu’ils n’ont pas été pensés comme tels : articles scientifiques publiés par des chercheurs occidentaux, vœux de dirigeants occidentaux. Consensuels et policés, les messages sur Twitter des comptes diplomatiques chinois à Bruxelles et Ottawa ont aussi intégré les règles d’usages propres aux médias sociaux numériques, comme la personnalisation, à travers la mise en valeur d’histoires et de visages, l’humour à travers des clins d’œil notamment lors des vœux, l’utilisation de la mascotte sympathique du panda et l’interactivité avec une systématisation des réponses aux commentaires.
L’analyse netnographique de tous les tweets publiés par les deux comptes Twitter chinois à Bruxelles et à Ottawa illustre les efforts de la diplomatie chinoise pour intégrer les règles tacites d’usage des médias sociaux et les rendre compatibles avec des objectifs stratégiques et une tradition de communication centralisée sous contrôle et purement descendante. Les tweets du corpus qui émanent directement des propriétaires des comptes relèvent de types de discours variés bien que les messages les plus institutionnels dominent. On y relève des messages très éloignés du champ politique, qui valorisent des performances économiques, des histoires individuelles ou des aspects folkloriques de la culture chinoise dans une perspective de marketing touristique.
De plus, bien que le gouvernement chinois gère peu de comptes twiplomatiques, l’utilisation accrue de la fonction « retweet » par les diplomates confère un caractère de polyphonique à ses comptes et créent autour d’eux un réseau souple de sympathie à travers des échanges de politesse certes conventionnels (« merci pour le retweet ! »). Cette fonction « retweet » multiplie les possibilités de conversations entre les organisations et leurs publics (Boyd, Golder, et Lotan, 2010, p. 10), peu importe que celles-ci soient superficielles ou développées, libres ou sous contrôle. Ces ferments de conversations favorisent l’établissement de relations entre le gouvernement chinois et ses nombreuses parties prenantes internationales qui sont présents sur les médias sociaux en même temps qu’ils contribuent à forger l’image d’une Chine ouverte au dialogue et capable de dialogue, moins austère et plus tolérante en matière de liberté d’expression. Pékin mobilise donc largement la fonction « retweet » de Twitter pour faire la promotion du pays au sens large (gouvernance, performance économique, implication en matière de responsabilité sociale et environnementale, qualité de vie, richesse du patrimoine culturel, sens de la fête, solidarité nationale, valeurs humanistes et caritatives) ce qui lui permet de conjurer la critique en propagande grossière et en autopromotion nombriliste. Les comptes diplomatiques chinois illustrent l’intelligence des stratégies de communication par délégation en laissant à d’autres le soin de présenter la Chine sous son meilleur jour.
Pour autant, ces comptes diplomatiques qui sont la pointe visible des stratégies de soft power chinois restent très marqués par des mécanismes et des dispositifs de censure a priori, et par un écosystème politique brutal qui génère de l’autocensure. De fait, le gouvernement chinois sur Twitter s’exprime certes de manière polyphonique, mais dans un unisson quasi parfait, et cette harmonie est parfaitement stratégique eu égard aux buts visés de promotion du « rêve chinois ». Les diplomates du pays du panda se sont donc bien appropriés Twitter. Et, l’oiseau bleu ne fait pas que diffuser les discours officiels du plantigrade et renforcer son autorité (Merzeau, 2013), il l’aide aussi à développer son capital de sympathie, un atout non négligeable pour une stratégie de soft power conquérant.
Pour citer cet article
Huang, Z. A., & Arifon, O. (2018). La diplomatie publique chinoise sur Twitter : La fabrique d’une polyphonie harmonieuse. Hermès, La Revue, (81), 45‑53.
Références
Boyd, D., Golder, S., & Lotan, G. (2010). Tweet, Tweet, Retweet : Conversational Aspects of Retweeting on Twitter. 2010 43rd Hawaii International Conference on System Sciences, 1‑10. http://doi.org/10.1109/HICSS.2010.412
Huang, Z. A., & Arifon, O. (2018). La diplomatie publique chinoise sur Twitter : La fabrique d’une polyphonie harmonieuse. Hermès, La Revue, (81), 45‑53.
Huang, Z. A., & Wang, R. (2019). Building a Network to “Tell China Stories Well” : Chinese Diplomatic Communication Strategies on Twitter. International Journal of Communication, 13, 2984‑3007.
Merzeau, L. (2013). Éditorialisation collaborative d’un événement : L’exemple des Entretiens du nouveau monde industriel 2012. Communication et organisation, (43), 105‑122. http://doi.org/10.4000/communicationorganisation.4158