La guerre commerciale et technologique entre les Etats-Unis et la Chine a connu un regain de tension avec la crise du Covid-19, et ce malgré les accords signés entre les deux pays en 2020 censés apaiser les tensions commerciales.
Tout au long de la crise, Donald Trump accusait son adversaire d’être responsable des centaines de milliers de morts de l’épidémie. La Chine tente alors de convaincre le monde que le virus pourrait en fait venir des Etats-Unis. Si ces différentes accusations prêtent à sourire, elles sont l’expression d’une guerre commerciale et technologique acharnée, qui se joue à coups de barrières fiscales et juridiques et qui s’étend maintenant à la démonstration de leur puissance technologique (Huawei et la 5G) et militaire respective (Spacecom, Mer de Chine).
Entre les deux, se trouvent les économies européennes qui tentent de s’adapter à l’appétit de puissance des chinois. Xi Jinping annonçait d’ailleurs lors de son discours d’ouverture du 19e Congrès du Parti communiste en octobre 2017, qu’il voulait amener son pays au « premier rang du monde en termes de puissance globale et de rayonnement international ».
La France bénéficie d’importations massives venant de Chine (52,5 milliards d’euros en 2019) tandis que les Etats-Unis sont les premiers investisseurs étrangers dans l’hexagone (326.4 milliards en investissements directs en 2018). Elle tente alors d’entretenir ses relations économiques avec ces deux pays tout en protégeant son économie des investissements dans des secteurs d’intérêt stratégique national.
Vers un repli des puissances ?
La Chine a investi au moins 145 milliards d’euros en Europe depuis 2010, dont 45% en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, mais cette tendance se ralentit ces dernières années: selon la filiale allemande du cabinet de consultants Ernst & Young (EY), les entreprises chinoises ont investi 2,4 milliards de dollars au premier semestre 2019, soit une baisse de 80% par rapport à leurs investissements de 2018. Cette baisse serait due au durcissement du gouvernement chinois face à de grands groupes surendettés qui doivent maintenant respecter une liste de secteurs autorisés par Pékin pour leurs investissements étrangers afin de préserver le niveau de taux de change du pays et la santé financière de ses plus grandes entreprises, telles que Wanda, Anbang, ou encore les conglomérats HNA et Fosun.
Autre cause possible de cette baisse: l’Union Européenne s’est dotée d’un dispositif réglementaire plus strict: le 14 février, le Parlement européen a approuvé un cadre de contrôle des investissements étrangers dans l’UE dans les secteurs stratégiques (intelligence artificielle, télécoms, robotique…). Ce cadre sera mis en place directement par les pays membres (14 membres de l’UE disposent d’ailleurs déjà de systèmes de contrôle).
Les acquisitions chinoises sont jugées déloyales par les acteurs économiques européens, notamment parce que les entreprises qui viennent investir sont financées par l’État chinois. Si cette pratique est aussi commune aux européens, cela pose d’autant plus de problèmes que l’UE fait face à une véritable « muraille de Chine » : il est en effet particulièrement difficile voire impossible pour un investisseur étranger d’entrer au capital d’une entreprise chinoise. Ce manque de réciprocité et de respect des règles posées par l’OMC, dont la Chine est membre depuis 2001, est particulièrement critiqué en Europe comme aux Etats-Unis.
Cette tendance de repli pourrait se poursuivre, alors que la France a renforcé son cadre légal de contrôle des investissements étrangers et que la crise sanitaire a mis en lumière le besoin de rapatrier la production vers le territoire français. C’est sans compter sur le projet des nouvelles Routes de la soie, lancé par la Chine depuis plusieurs années.
Les nouvelles routes de la soie
En 2015, Pékin a officialisé le projet titanesque des nouvelles routes de la soie, l’objectif étant de relier la Chine à l’Asie centrale et l’Europe, par de nouvelles connexions maritimes et terrestres. L’Italie a été le premier pays du G7 à signer un protocole d’accord d’intégration de ce nouveau réseau d’infrastructure en 2019, à la suite d’autres pays européens ( Grèce, Portugal, Hongrie, Pologne). La Grèce avait déjà cédé le port du Pirée en 2016 à Cosco, premier armateur chinois, qui contrôle déjà les ports à conteneurs de Valence et Bilbao . En France, la Chine entrait au capital du dernier terminal du Havre à 49% en 2013 et a depuis investi dans des ports à conteneurs à Marseille et à Dunkerque.
Une nouvelle stratégie pour l’UE
Josep Borell, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, se voulait rassurant et déclarait avoir confié au chef de la diplomatie chinoise « Ne vous inquiétez pas, l’Europe ne va pas s’engager dans une quelconque guerre froide avec la Chine ». Le récent sommet UE-Chine, organisé par vidéo-conférence, a permis à l’Union d’exprimer son point de vue à propos du respect de la Chine concernant le droit international et les droits de l’homme sur les territoires qu’elle considère comme lui appartenant. Les représentants de l’Union ont aussi pu dénoncer les cyber-attaques chinoises sur les territoires européens mais n’ont pas eu aborder les questions d’ordre économique. (Source: Libération)
Si les échanges de biens entre la Chine et l’UE représentaient 1,5 milliard d’euros par jour en 2019, la stratégie européenne se veut à présent plus réaliste. En mars 2019, un rapport était publié par la Commission Européenne, sur sa position stratégique vis-à-vis de la Chine. On y lit notamment que Pékin est à présent un « concurrent économique dans la poursuite d’un leadership technologique, et un rival systémique dans la promotion de modèles alternatifs de gouvernance » (Communication conjointe au parlement européen, au conseil européen et au conseil sur les relations UE-Chine – Une vision stratégique, Introduction, p2).
Si les dirigeants européens se veulent rassurant sur l’évolution des discussions, Pékin ne semble pas aussi confiant. Après le refus de la Chine d’organiser une conférence de presse commune à l’issue du sommet, l’ambassadeur chinois auprès de l’UE, Zhang Ming déclarait à propos des dirigeants de l’UE « Le capital est très sensible et lâche. En cas de changement de vent, le capital votera avec ses pieds » .
Reste à savoir si l’Europe saura apaiser les échanges avec Pékin et si elle devra se positionner dans le conflit sino-américain. Le commissaire européen à l’Industrie, Thierry Breton a toutefois averti que « L’Europe ne sera pas le champ de bataille des États-Unis et de la Chine». Cependant, si les prochaines négociations n’aboutissent pas à un accord, les dirigeants européens se disent près à jouer la carte de la défense de leurs intérêts.
David Gersen
M1 IE 2020-2021