Risques et menaces issus de l’émergence des nouvelles technologies en tant que nouveaux vecteurs d’armes de destruction massive

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Bien loin des utopies, les nombreux traités de contrôle et de limitation des armements dont l’objectif est de limiter le développement, la possession ou l’usage d’armements, se voient devenir progressivement impuissants, voire même inefficaces face à l’apparition de nouvelles failles liées à l’avènement des nouvelles technologies. Limiter la prolifération des armes de destruction massive et leurs vecteurs constitue aujourd’hui l’un des défis cruciaux pour la sécurité interétatique comme intraétatique. 

La France fait preuve d’une forte implication en ce qui concerne la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. En effet, l’adoption de la loi du 14 mars 2011 s’inscrit totalement dans une démarche de renforcement du dispositif juridique national de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Cette motivation française se traduit par une volonté de renforcer le périmètre des infractions et par la mise en place d’un code des douanes comprenant des dispositions relatives aux biens à double usage. En plus d’incriminer le fait de provoquer, d’encourager, ou d’inciter quiconque à commettre des actes associés à des activités proliférantes, cette loi prohibe également le financement de la prolifération (articles L. 1333-13-5 du Code de la défense pour les matières nucléaires, article L. 2341-2 pour les agents biologiques et articles L. 2342-3 et L. 2342-60 pour les armes chimiques).

En 2018, la France a également réaffirmé sa volonté d’agir en faveur de la lutte contre la prolifération de ce type d’armes en renforçant son dispositif juridique avec la ratification de la « Convention on the Suppression of Unlawful Acts at Sea » pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime. Dans le cadre de l’entrée en vigueur en mars 1970 du traité international sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), cette convention a pour objectif de faciliter l’arraisonnement et l’inspection en haute mer de navires suspectés de transporter des biens proliférants.  

Cependant, malgré le désir français de limiter au maximum la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, de nouveaux risques et de nouvelles menaces liés aux avancées technologiques pèsent sur la sécurité nationale. Cet article a pour vocation à mettre en exergue la complexité de conciliation d’une sécurité nationale efficace avec le développement de nouvelles technologies dites duales (civile et militaire) au sein du territoire. Dans ce contexte, le processus d’intelligence économique est vraisemblablement lié à la capacité des institutions françaises à affronter, contrer et s’approprier les nouvelles évolutions technologiques afin d’assurer la sécurité intérieure du pays. 

Une immuable intensification des risques

Dans un contexte géostratégique complexe et peu prévisible, les armes de destruction massive constituent une menace avérée pour la France et pour le monde. En raison des transferts autorisés ou clandestins de technologies, l’usage d’armes dites non conventionnelles, c’est-à-dire nucléaires, biologiques, chimiques et radioactives (NRBC) est de plus en plus redouté malgré les nombreux traités allant à l’encontre de leur utilisation. En termes de sécurité, les armes à proprement parler ne représentent qu’une façade du problème, la complexité de la situation est également liée à la maîtrise des technologies duales, c’est-à-dire susceptibles d’un usage civil et militaire. En effet, afin d’assurer la sécurité de notre territoire, il est essentiel de se préoccuper des vecteurs d’armement et plus généralement des équipements et des technologies transférées. 

Les vecteurs les plus susceptibles de porter des armes de destruction massive restent les missiles balistiques, cependant il ne faut pas négliger la démocratisation des imprimantes 3D, des aéronefs et des drones terrestres qui représentent un réel danger, car il est très difficile d’en déterminer l’utilisation et la capacité de transport, cela rend les armes de destruction massive multimodales. 

Bien loin du nouveau prototype de drone de combat américain nommé « Mojave », de nombreux drones sont cependant disponibles sur le marché civil. Son usage s’est démocratisé dans de multiples secteurs industriels ou commerciaux, que ce soit dans le domaine de l’agriculture, la logistique, ou même l’audiovisuel. En effet, si certains drones sont aujourd’hui utilisés dans le cadre de la pulvérisation de produits de traitement sur des terres agricoles, ils peuvent aussi bien être utilisés par un groupe terroriste afin de disperser des agents biologiques. Cependant, ce n’est pas si simple de mettre au point des techniques de contamination par aérosol, cela demande des techniques complexes qui doivent prendre en compte la température extérieure, les conditions météorologiques, la fragilité des bactéries aux rayons du soleil et aux UV et le taux d’humidité de l’atmosphère.

A titre d’exemple, l’entreprise chinoise DJI, leader mondial dans la fabrication de drones de loisir, professionnels et pour entreprise a développé le drone DJI Agras MG-1S, spécialisé dans l’agriculture de précision. Celui-ci est capable d’épandre 10 litres de traitement sous forme liquide. Les dégâts pourraient être désastreux si le liquide chimique déversé par cet aéronef était létal pour l’homme. Ces robots téléopérés peuvent également être de redoutables vecteurs d’armes de destruction massive, tout comme les drones aériens ou terrestres qui peuvent être vecteurs de charges explosives ou d’agents biologiques. A l’heure actuelle, les robots NERVA®-LG sélectionnés par la Direction générale de l’Armement (DGA) sont utilisés pour des missions d’observation, de destruction, de manipulation ou de brouillage. Toutefois, il peut être équipé d’un lance-grenade permettant de procéder à un tir unique de munitions non létales telles qu’une grenade flash ou une grenade assourdissante. Sans nul doute, d’autres technologies similaires pourraient donc transporter d’importantes charges explosives. 

Selon un rapport enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 20 mai 2021, le marché des drones était de 200 millions d’euros en 2017 et a augmenté de 50 % en 2020.

D’après une estimation issue de ce même rapport, « il devrait être multiplié par plus de trois en 2025, pour atteindre 652 millions d’euros, tant pour les drones de loisir que pour les drones professionnels ». Quant à leur nombre sur le territoire national, il a considérablement crû ces dernières années en passant de 400 000 en 2017 à 2,5 millions en 2021.

Malgré les nombreuses restrictions et interdictions quant à la circulation des aéronefs, il ressort des données figurant dans le rapport que « les survols de zones illicites, dont les prisons, demeurent élevés ». En effet, afin d’apporter un ordre d’idée, 335 survols de zones illicites ont été enregistrés en 2019. Le survol de zones sensibles telles que les centrales nucléaires ou les établissements pénitentiaires par des drones malveillants pose ainsi d’importants enjeux en matière de sécurité publique. En raison de la popularisation des aéronefs, la France doit intensifier son recours à des dispositifs de brouillage électronique afin de lutter contre les appareils malveillants et éviter le survol de ces espaces interdits. Même si aujourd’hui le pilotage de drone est encadré par la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC), qui met en place des règles strictes afin d’assurer un espace aérien sécurisé notamment via l’obligation de suivre un cursus de formation qualifiant en vue de pratiquer une utilisation professionnelle d’un drone.

Selon une étude réalisée au profit de l’US Air Force, l’essaim de drones à grande échelle pourrait être classé en tant qu’arme de destruction massive. Cette technologie qui permet de déployer de nombreux drones en escadrons, capables de fonctionner de manière autonome en meute, s’avère être une arme redoutable pour la sécurité d’une nation. C’est dans le Haut-Karabakh que cette nouvelle technologie d’essaimage a été observée, durant le conflit qui opposa l’Arménie et l’Azerbaïdjan à l’automne 2020. En effet, les Azerbaïdjanais ont eu recours à des tirs de missiles et d’obus d’artillerie, tout en ayant une utilisation massive de drones. Ces derniers ont parfois mêmes été utilisés en tant qu’engins-suicides appelés « munitions maraudeuses ». Loin d’être totalement autonomes, l’utilisation de ces robots-tueurs en octobre 2020 a tout de même conduit la France à inscrire la lutte antidrone au cœur des priorités de la révision de la loi de programmation militaire 2019-2025.

Nous pouvons également faire le même constat pour les imprimantes 3D. Cette nouvelle technologie offre à un individu la capacité « d’imprimer » ou de fabriquer des armes à feu à titre privé. En effet, Cody Wilson, un jeune texan a ainsi créé en 2013 la première arme à feu entièrement imprimée en 3D. Cette innovation offre la possibilité aux individus de contourner les contrôles d’antécédents, et les nombreux moyens utilisés pour réglementer les armes à feu. Aujourd’hui, la capacité du gouvernement à contrôler la prolifération des armes fantômes issues de la fabrication additive est l’un des défis cruciaux de notre société. 

Et ce défi s’élargira de manière exponentielle à mesure que la technologie progressera, permettant un jour aux individus d’imprimer chez eux des armes chimiques, biologiques et nucléaires.

La possibilité d’utiliser des armes de destruction massive s’élargira à mesure que l’impression 3D rendra ces instruments plus accessibles. Dans le passé, seuls les pays les plus avancés pouvaient fabriquer des armes de destruction massive de manière fiable, étant donné les formidables investissements techniques et économiques que cela impliquait. En effet, les quelques cas où des groupes non étatiques ont réussi à produire et à utiliser ce type d’armement, comme les attentats d’Aum Shinrikyo en 1994 et 1995, ont montré que les difficultés techniques pour réaliser une telle attaque sont considérables. 

Bien que cela ressemble à de la science-fiction, les meilleures projections suggèrent que l’impression 3D sera suffisamment avancée pour produire des armes de destruction massive d’ici quelques décennies. Aujourd’hui, la technologie permettant d’imprimer à partir de métaux standard tels que l’acier et le titane existe déjà, ce qui permet de fabriquer des armes à feu bien plus solides que les armes de poing en plastique fragile. L’impression de matériaux mixtes, qui peut actuellement utiliser 14 matériaux dans la même imprimante, progresse à la fois en laboratoire et chez les amateurs. Les travaux sur les matériaux biologiques se développent à un rythme rapide, les scientifiques imprimant des organes humains, des médicaments et même des hamburgers ; les bactéries et les produits chimiques ne sont pas loin derrière. La production va également au-delà des articles simples et permet la fabrication d’objets de plus en plus complexes.

À titre d’exemple, SpaceX utilise des techniques innovantes d’impression en 3D pour fabriquer des composants pour ses engins spatiaux et ses moteurs de fusée. Il devrait également être possible d’utiliser des imprimantes 3D pour imprimer les composants nécessaires à la production d’armes nucléaires, potentiellement même à partir de matériaux fissiles comme l’uranium ou le plutonium.

Le rôle de l’État français

Outre les nombreux traités, conventions et accords de limitation et contrôle des armements, la régulation en matière de technologies duales reste une étape nécessaire dans cette perspective de sécurité nationale. En effet, il s’agit d’anticiper un chaos complet où chaque individu serait susceptible de véhiculer une menace potentielle. Si nous reprenons le cas de la dissémination des drones, la France s’est dotée en 2015 d’un Conseil pour les drones civils au sein de la DGAC qui réfléchit à la régulation en matière d’Unmanned Traffic Management (UTM). 

Ces réflexions sont menées à l’échelle internationale, notamment sous l’égide de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), afin d’instaurer un modèle de navigation complémentaire à l’actuel système de contrôle aérien « Air traffic management (ATM) ». Dans une perspective de lutte contre les menaces liées au survol de zones sensibles par des appareils non identifiés, des obligations pourraient être mises en place afin d’assurer l’identification des engins (emport de transpondeur, plaque d’immatriculation …). Le fait de pouvoir déclarer la possession d’une imprimante 3D ou d’un drone auprès d’une autorité administrative pourrait également être une solution afin de répondre à ce besoin d’identification.

De plus, déposé le 23 juin 2021, le rapport d’information n° 711 de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Bruno SIDO et François BONNEAU, montre pertinemment que la France a pris conscience de la menace que représentaient les drones. De ce fait, des mesures sont en train d’être mises en place afin de renforcer les capacités des forces armées en matière de lutte anti-drones. Ainsi, la France a décidé de rassembler l’ensemble des moyens et technologies (capteurs et effecteurs) permettant d’assurer la lutte anti-drones dans un système intégré.

A l’aide d’un système de commande et de contrôle agile, et grâce à l’intelligence artificielle, ce système sera en mesure d’analyser la menace et de sélectionner la meilleure réponse technique à adopter en fonction de la nature du danger (taille du drone, drone télé-opéré ou autonome, seul ou en essaim, missile…) et de l’environnement (jour ou nuit, conditions météo, distance…). La France a pour ambition de mettre au point « une solution multi-couches, capable de traiter la menace aérienne sur un large spectre ».

L’efficacité de ce système repose dans sa capacité à être facilement interconnectable avec d’autres systèmes numériques d’armement et de lutte anti-drones existants. Il devra être en mesure d’intégrer les évolutions technologiques futures et surtout de résister face aux éventuelles attaques saturantes et vols en essaim.

Aujourd’hui, les forces françaises disposent déjà d’un certain nombre de systèmes permettant de neutraliser les drones, qui peuvent être vecteurs d’armes de destruction massive. Utilisé par l’Armée de l’Air et de l’Espace, le système BASSALT, développé par la société Hologarde, est actuellement en mesure « de détecter, identifier, classifier et neutraliser par brouillage la menace de drone qui intègre un C2 à base d’intelligence artificielle et offre une visualisation globale de la situation en basse altitude ». A titre anecdotique, ce système a permis la sécurisation de grands évènements tels que le salon du Bourget ou le sommet du G7 à Biarritz en 2019.  

Dans le cadre du marché MILAD (Moyens Mobiles de Lutte Anti-Drones), la France s’est dotée de plusieurs systèmes BOREADES destinés à brouiller et leurrer les systèmes de navigation des drones. Et enfin, grâce au programme PARADE, le ministère des Armées pourra bénéficier d’ici fin 2022 d’une dizaine de nouveaux systèmes anti-drones. Le programme prévoit des investissements de grande envergure à hauteur de 350 millions d’euros sur 11 ans (dont 70 millions d’euros pour la période 2022-2025). La première livraison de ces systèmes permettra d’assurer la protection civile lors des futurs évènements sportifs organisés en France (coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques de Paris en 2024). Dans ce contexte de lutte anti-drones, « le système devra aussi assurer la détection, la caractérisation, l’identification automatiques et la neutralisation de jour comme de nuit, et par tous les temps, contre des drones émetteurs ou non d’ondes électromagnétiques ». 

Nous avons à notre disposition de nombreux autres outils permettant de contrer la menace des drones, par exemple :

  • le laser Helma-P qui permet la destruction en vol d’un drone. Ce système devrait être opérationnel en 2024. 
  • destinée à la Marine, il existe aussi la tourelle RAPIDFire
  • sans oublier les systèmes anti-drones de la police et de la gendarmerie, le système ARLAD utilisé par l’armée de terre et,
  • le projet Deeplomatics qui permet de localiser et identifier des cibles aériennes par deep learning.

En ce qui concerne l’usage des imprimantes 3D, il est beaucoup plus difficile de mettre en place des mesures de contrôle permettant de limiter la prolifération d’armement. Cependant la France doit impérativement suivre les évolutions technologiques dans ce domaine.

Notre État doit être en mesure de bien suivre l’évolution de la menace et notamment d’acquérir une connaissance approfondie des différentes innovations liées à l’imprimerie en 3D. Par le biais de la réalisation d’une veille technologique adaptée, nous devons être en mesure de surveiller les nouveaux domaines d’application, les nouveaux usages et les nouveaux entrants sur le marché. 

Comme pour la menace des drones, nous devons également lancer de manière réactive des projets permettant d’appréhender les innovations proposées par le secteur civil (à l’image de l’appel à projets sur un drone intercepteur de drones lancé en avril dernier par l’Agence de l’Innovation de défense).

Et enfin, nous devons lancer des études stratégiques visant à identifier des solutions aux défis technologiques qui se poseront dans un avenir proche, notamment celui des drones autonomes, résistants au brouillage, celui des essaims de drones, des attaques saturantes et des imprimantes 3D qui permettront de créer des armes bactériologiques ou chimiques.

L’importance d’une souveraineté industrielle française

Afin de faire face aux enjeux futurs et d’assurer la crédibilité et la sécurité de notre territoire, la France doit être en mesure de mener une politique d’autonomie stratégique orientée sur la préservation et l’intensification de notre souveraineté nationale en matière de défense. 

En effet, le maintien de notre souveraineté nationale repose dans notre capacité à anticiper les prochains virages technologiques liés à l’apparition de nouvelles technologies dites de rupture. A ce titre, l’impression 3D, les biotechnologies de synthèse, les technologies du numérique (IoT et big data), la course mondiale au quantique et le développement de l’intelligence artificielle sont autant de raisons d’investir massivement afin de préserver notre souveraineté.

L’appréhension et la maîtrise de ces technologies émergentes sont fondamentales pour contrer les armes de destruction massive et leurs vecteurs. A titre d’information, dans le cadre de la lutte anti-sous-marine, des veilles stratégiques sont menées afin de savoir s’il existe des technologies fiables et opérationnelles permettant de rendre les océans transparents. Les drones sous-marins téléopérés, les sous-marins lanceurs d’engins et les autres appareils pouvant servir de vecteurs d’armes de destruction massive, pourraient éventuellement devenir inopérants d’ici les années 2050. Selon une note publiée par le National Security College de l’université nationale australienne (ANU), des « analyses montrent que les océans seront susceptibles, dans la plupart des cas, de devenir transparents d’ici les années 2050 ». La veille stratégique et technologique s’avère être un outil essentiel aux organisations étatiques afin d’anticiper les nouveaux enjeux de demain. En effet, la Chine développe actuellement des drones sous-marins qui seraient capables de bombarder des ennemis en utilisant l’intelligence artificielle. Par conséquent, nous devons être en mesure d’anticiper et de concevoir la défense de demain. Nous devons étudier les nouvelles technologies méconnues afin de penser et mettre en place les moyens de contre-mesure et nous préserver des moyens étrangers.

Pour revenir aux menaces liées aux nouvelles technologies d’essaim, celles-ci correspondent à une multitude de technologies couplées, dosées et conçues pour créer une arme de destruction massive. Selon Paul Scharre, afin de se défendre, riposter et gagner un combat en essaim de drones, il est essentiel de disposer des meilleurs algorithmes afin de permettre une meilleure coordination des aéronefs et de bénéficier d’un temps de réaction plus rapide. Dans cette même optique, afin de riposter face à une attaque d’essaim, l’US Army pourrait envisager de laisser l’IA aux commandes car l’homme n’aurait pas le temps d’adapter ses défenses et se ferait submerger. 

Quant à l’impression 3D, nous venons d’aborder ses différents usages en biologie, cette innovation est notamment utilisée dans la fabrication d’organes de synthèse. Dans le cadre militaire, cela laisse présager des nouveautés prometteuses, car l’imprimante pourrait effectivement permettre la construction sur demande d’outils médicaux indispensables sur le terrain. Cet outil serait utilisé dans le cadre d’opérations médicales complexes sur le champ de bataille afin de permettre l’impression sur demande d’organes. 

A ce titre, la blockchain d’impression 3D FIBR²EO pilotée par la SIMMT (structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres) s’annonce être un projet très prometteur dans le domaine militaire. Ce projet a pour objectif d’améliorer les processus de maintenance et la disponibilité des matériels sur les théâtres d’opérations en associant blockchain et fabrication additive. En étroite collaboration avec les industriels de défense qui fournissent des modèles 3D, cette innovation pourrait permettre aux troupes déployées de produire des pièces de rechange, avec réactivité, conformément aux procédés et méthodes de fabrication. 

Le projet FIBR²EO illustre à quel point les nouvelles technologies peuvent ouvrir de nouvelles perspectives stratégiques aux armées. Le maintien de notre supériorité opérationnelle et la protection de notre souveraineté reposent clairement dans notre capacité à appréhender et à s’approprier ces nouvelles technologies. Ces innovations « nous permettrons d’aller plus loin dans l’interprétation des données (data science), de sécuriser nos données (blockchain), d’anticiper des situations conflictuelles (IA), d’automatiser des actions cruciales (robots/drones), de disposer en tout temps et en tout lieu d’informations d’aide à la décision (cloud/5G). »

Pour en revenir à l’intelligence artificielle, en raison de sa puissance de calcul, de sa capacité d’analyse, cette technologie pourrait être utilisée afin de faire la chasse aux armes nucléaires. Ainsi, cette technologie a la possibilité de cartographier des emplacements de sites de lancement nucléaire, ce qui peut éventuellement permettre d’anticiper certaines menaces. De plus, couplée avec la numérisation croissante des données de santé, l’IA pourrait également permettre la production de vaccins personnalisés à chaque soldat, chaque citoyen en fonction de son patrimoine génétique. L’automatisation des opérations scientifiques pourrait également permettre de tester en un temps record les combinaisons génétiques. Cela permettrait de trouver rapidement la combinaison biologique recherchée et ainsi contrer une éventuelle attaque.

En effet, toutes ces innovations technologiques renforcent significativement l’applicabilité des biotechnologies au contexte de guerre. Selon l’OCDE, la biotechnologie se définit comme étant « l’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services ». L’association de la robotique et de la biotechnologie pourrait permettre la livraison de médicaments plus rapidement et plus efficacement. Ainsi, cette combinaison de technologies pourrait éventuellement permettre de contrôler les effets d’une attaque chimique, mais cela engendrerait également des risques conséquents liés à la facilité de développement d’armes biologiques. Le développement d’armes chimiques serait plus rapide et potentiellement accessible à un plus grand nombre d’acteurs. 

Enfin, le quantique est très probablement le tournant numérique majeur à ne pas manquer pour la France, notre souveraineté et notre sécurité nationale dépendent de nos capacités à maîtriser cette technologie. Comme le souligne Cyrille Hoez, « parmi les nombreuses technologies émergentes, peu en réalité sont en mesure d’apporter un ascendant à une telle échelle stratégique. À l’instar des armements hypervéloces et de l’IA, les technologies quantiques font office d’exception et, de manière certaine, constitueront un nouveau déterminant de puissance dans un futur proche. Il est donc vital que les armées s’engagent dans la compétition pour la maîtrise de ces technologies. Dans cette course à l’innovation, la France n’a pas encore décroché mais l’investissement à consentir pour éviter le déclassement est colossal. Elle doit donc poursuivre de manière résolue la politique ambitieuse qu’elle a commencée, notamment dans ces secteurs stratégiques. Elle doit également identifier les coopérations et les synergies à développer avec les partenaires européens afin de combler son retard, voire ses lacunes ».

Caractérisée de rupture majeure, cette technologie va permettre l’accélération faramineuse de temps de calcul. A titre d’information, le supercalculateur français conçu par Bull pour le CEA-DAM est à présent capable de réaliser 25 millions de milliards d’opérations par seconde. Quant au futur supercalculateur de classe « exascale » développé par la société Atos, le « BullSequana XH3000 » sera capable d’atteindre des performances d’un milliard de milliards d’opérations par seconde. En ce qui concerne les futurs supercalculateurs quantiques, ils seront capables de produire plusieurs milliards de milliards d’opérations par seconde. 

Dans le domaine de la cryptographie, la mise en service d’un ordinateur quantique opérationnel rendrait la sécurisation de l’information très compliquée car cet engin serait en capacité de casser la majorité des systèmes cryptographiques actuels. L’Agence de l’innovation de la défense (AID) ambitionne d’intégrer des systèmes post-quantique dans les équipements de chiffrement du ministère des Armées. Pour finir, le quantique pourrait également permettre la conception de capteurs de haute performance tels que des gravimètres, gyromètres, accéléromètres, horloges atomiques et radars contre-furtivité.

In fine

L’innovation de défense est un facteur stratégique majeur permettant de favoriser une collaboration de confiance entre les forces armées, les industriels et les chercheurs. Cette collaboration s’inscrit dans une démarche stratégique défensive, et une démarche d’anticipation à long terme permettant à notre Nation de se doter d’une capacité de réaction fulgurante face à l’avènement de nouvelles menaces inhérentes à la démocratisation des technologies duales et à l’évolution rapide du contexte stratégique et sécuritaire.

En effet, les nouvelles technologies rendent notre avenir particulièrement incertain car ces dernières viennent faciliter le développement ou la production d’armes biologiques, ainsi que de leurs systèmes de dissémination. De plus, elles augmentent significativement la précision des armes biologiques, fragilisant le consensus autour de leur non-utilisation. Finalement, la dualité de celles-ci vient rendre plus difficile leur contrôle par les États. Il est donc primordial d’adopter une vision stratégique quant à la réglementation en vigueur. Dans ce cadre précis, l’intelligence économique joue un rôle d’interface entre l’État et son environnement technologique en constante évolution. L’État se doit d’être réceptif aux moindres évolutions technologiques, d’anticiper les opportunités et les menaces qu’une technologie pourrait engendrer tout en ayant une vision stratégique tournée sur le long terme. De ce fait, en adoptant une démarche d’intelligence économique, l’État peut ainsi bâtir des stratégies d’anticipation défensive afin de se protéger des menaces émergentes liées au développement technologique. Le meilleur moyen d’assurer la sécurité de notre territoire face à ces nouvelles menaces repose vraisemblablement dans notre capacité à disposer de technologies souveraines.

Pour finir, cet article n’a pas vocation à énumérer de manière exhaustive toutes les nouvelles technologies pouvant être utilisées en tant que vecteurs d’armes de destruction massive, mais plutôt de sensibiliser ses lecteurs afin d’adopter une vision stratégique quant à l’anticipation des nouvelles menaces liées au développement technologique.

Promotion 2020-2022