Réindustrialisation et souveraineté tricolore en eaux profondes

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Bien loin des utopies, la guerre économique est une notion au centre de nos enjeux stratégiques actuels et cela ne date pas d’hier, puisque selon Bernard Esambert (livre s’intitulant “la guerre économique mondiale” de 1991), les fondements de la guerre économique dans son acception moderne remontent aux années 1960. Dans le secteur militaire, la France doit encore faire des progrès afin de pouvoir affirmer sa souveraineté, là où les grands groupes industriels internationaux tentent de maintenir leur puissance.

La France a fait preuve d’une forte dépendance face aux équipements étrangers ces dernières années, que ce soit avec les drones MALE, les catapultes du porte-avions Charles de Gaulle ou encore les fusils d’assaut allemands HK16 qui ont remplacé le Famas. Cette dépendance est principalement due à une perte de savoir-faire français dans ces secteurs, et au contexte économique et politique actuel qui force les entreprises et les États à se doter d’équipements toujours plus performants afin d’assurer la sécurité de leur territoire.

Aujourd’hui, la France fait un énorme progrès dans l’industrie navale et peut désormais réaffirmer sa souveraineté nationale dans la lutte anti-sous-marine. Pilier de l’industrie de l’armement français, Thales a mis en place un projet avec plusieurs PME tel que Telerad, Selha Group, Astic et Realmeca afin de développer des bouées acoustiques made in France. Ces nouveaux systèmes de défense de lutte anti-sous-marine sont essentiels à la Marine nationale parce qu’elles permettent d’assurer la protection de nos côtes et des bâtiments de la marine de guerre de la République française. Lorsqu’elles sont larguées par hélicoptères, par avions de patrouille maritime, ou par drones, ces bouées acoustiques déploient un sonar qui émet des ondes permettant de détecter si un sous-marin approche grâce aux echos qu’il renvoie. Lorsque ce sonar a détecté un submersible dans le secteur, la bouée communique automatiquement la présence du sous-marin aux équipes de surveillance, qui peuvent ainsi intervenir en conséquence.

Dans ce contexte, le processus d’intelligence économique est vraisemblablement lié au développement de technologies de défense françaises au sein du territoire, et à la capacité des entreprises françaises à affronter des évolutions internationales rapides et complexes dans un milieu d’hyper-compétitivité.

Une perpétuelle rivalité

La perte de souveraineté industrielle est une thématique très répandue dans les médias et les discours politiques depuis ces dernières, ce qui est principalement dû à l’affaire Alstom qui remonte à juin 2014, date à laquelle General Electric a annoncé le rachat des activités Energie d’Alstom. En effet, Alstom, entreprise spécialisée dans le secteur de l’énergie et des transports, était un élément stratégique essentiel pour la France car il s’agissait du leader mondial incontesté dans le nucléaire, l’hydraulique et le charbon. Cette vente fut un événement dramatique car Alstom avait acquis un avantage technologique considérable sur ces principaux concurrents (Siemens ou Hitachi) et avait ainsi établi des activités précieuses et stratégiques dans les turbines à gaz et à vapeur, l’éolien en mer et les réseaux électriques. La cession de cette entreprise stratégique revient à devoir confier la maintenance des turbines des réacteurs nucléaires français à une puissance étrangère, ce qui ne laisse pas sans mots Alain Juillet, ex-directeur du renseignement à la DGSE et président de l’Académie de l’intelligence économique, « Dans le cas d’Alstom, nous avons vendu aux Américains la fabrication des turbines des sous-marins nucléaires, de sorte que l’on ne peut plus produire en France de tels sous-marins sans une autorisation américaine. C’est une perte de souveraineté absolue. » 

Le plus paradoxal dans cette histoire est qu’aujourd’hui General Electric assure l’entretien et le renouvellement des turboalternateurs de toutes les centrales françaises. L’entreprise assure également la production des turbines Arabelles pour les réacteurs EPR et la fourniture des turbines de propulsion des quatre sous-marins lanceurs d’engins et du porte-avions Charles-de-Gaulle. Cependant, la France n’a pas dit son dernier mot et tente tant bien que mal de retrouver son indépendance face à la puissance américaine. Depuis la vente d’Alstom Energie, l’action de General Electric a été divisée par 3, ce qui l’oblige aujourd’hui à vendre ses turbines Arabelle. Cet événement représente une réelle opportunité pour la France, et plus précisément pour EDF qui pourrait récupérer un marché très intéressant. Cependant il est nécessaire d’agir stratégiquement et efficacement afin de ne pas laisser cette technologie tomber sous contrôle étranger.

Par ailleurs, le contrat signé entre le Ministère des Armées et Thales concernant les bouées acoustiques s’inscrit véritablement dans un contexte de révolution visant à promouvoir la souveraineté industrielle française, nous permettant ainsi d’assurer une protection efficace de notre espace maritime.

Des enjeux stratégiques

Les eaux profondes sont devenues un espace de conflits et d’affrontements où les plus grandes puissances tentent d’espionner et d’obtenir des informations stratégiques sur leurs adversaires. La Russie profite de son avance industrielle navale, notamment grâce à son importante flotte de sous-marins, pour espionner au plus près les côtes françaises. En effet, les Russes n’en sont pas à leur premier coup d’essai et sont très présents dans le renseignement naval. Le 19 avril 2019, cette grande puissance a envoyé deux sous-marins au large de Cherbourg, selon Naval News il s’agissait d’une opération militaire de collecte de renseignements ayant pour objectif d’assister aux premiers essais du nouveau sous-marin nucléaire d’attaque français, le Suffren. Actuellement, le secteur marin n’est pas à négliger et se doit d’être protégé face aux potentielles menaces étant donné que de nombreuses opérations sont menées dans l’Atlantique au Nord l’Europe et en Méditerranée, où les tensions avec la Turquie restent importantes. Ces opérations peuvent également avoir pour objectif de chercher à repérer les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), ou pister le porte-avions Charles-de-Gaulle et ainsi disposer d’informations stratégiques. Les bouées acoustiques sont des armes efficaces pour répondre à la vulnérabilité française liée à la présence régulière de sous-marins russes au large de la base d’Ile-Longue, emplacement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. 

Une souveraineté made in France

Dans un monde où la Marine nationale est confrontée à des menaces et des défis croissants et parfois inattendus, la lutte anti-sous-marine apparaît comme une discipline essentielle pour laquelle les bouées acoustiques Sonoflash s’avèrent être des armes de défense redoutables. Le Ministère des Armées et Thales vont mettre fin à la dépendance technologique que subissait la France en achetant ses bouées acoustiques au grand groupe américain Sparton. C’est le début d’une nouvelle ère, celle du redéveloppement industriel français dans un secteur stratégique délaissé. Cet évènement permet d’envisager de grandes ambitions futures pour la France car cette nouvelle bouée made in France n’a pas uniquement vocation à être utilisée par la Marine nationale. Un marché à fort potentiel s’ouvre désormais à la France qui a pour ambition de proposer son équipement à tous les acteurs de la lutte anti-sous-marine, des intentions très fortes qui renforcent la vision stratégique de la Direction Générale de l’Armement (DGA) qui souhaite devenir d’ici 2030 une référence européenne au service des armées dans « la conception, la conduite des opérations d’armement et la structuration de l’industrie de défense ». La France a gagné une bataille dans cette guerre économique et politique face à la puissance américaine, mais il reste encore un long chemin avant d’atteindre une souveraineté totale pour ce qui est du secteur militaire.

Au-delà du redéveloppement d’une filière industrielle souveraine, il s’agit également d’une montée en puissance dans la sécurisation des territoires marins français. En effet, c’est un évènement majeur dans la lutte anti-sous-marine car cela pourrait dissuader la Russie, la Turquie ou tout autre pays de venir collecter des renseignements stratégiques sur la France. 

Forte d’une rare expertise en lutte anti-sous-marine, la France va pouvoir ainsi maintenir au plus haut niveau les performances de la Marine nationale et des marines alliées. En effet, la sécurisation des territoires alliés est une opportunité économique majeure pour Thales, qui a pour ambition de vendre ses bouées à l’export, plus particulièrement à ses partenaires européens de l’OTAN tels que l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne, mais également à tout autre pays doté de forces de lutte anti-sous-marine. Cela nous montre combien la protection de la souveraineté industrielle navale est importante et quelles sont les perspectives futures dans ce secteur.

Promotion 2020-2022