Le podcast crève l’écran

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Dans un monde numérique dominé par l’image, le podcast connaît pourtant un véritable succès auprès du public…

Dans un article du 11 avril 2018, le journal Les Échos titrait “Comment les podcasts surfent sur leur succès ?” en indiquant que le phénomène du podcast “devrait exploser cette année”. Cet article reste parfaitement d’actualité. En effet, chaque jour, les internautes du monde entier âgés de 16 à 64 ans passeraient 54 minutes à écouter des podcasts (rapport annuel sur le digital, We are social et Hootsuite 2021). En octobre 2020, le rapport du NPR & Edison Research révélait que le temps passé à écouter des contenus audio tels que des podcasts, des livres audio… avait augmenté de 30% en une année alors que l’écoute de musique enregistrait, quant à elle, une baisse de 8%. Si le podcast est bien un format qui ne date pas tout à fait d’hier, il s’avère pérenne même dans un paysage numérique dominé par l’image et la vidéo. L’écosystème autour de l’audio montre à lui-seul le succès que rencontre le podcast (cf. figure ci-après). Il s’agit d’un marché qui a réussi à se structurer rapidement. Focus sur cette success story version 21e siècle. 

Figure : https://www.cartographiepodcast.com/ (version juillet 2023).

Le podcast, un format qui plaît

Le terme apparaît au début des années 2000. Alors que l’iPhone n’existe pas encore et que l’iPod fait partie des appareils utilisés pour héberger et écouter des fichiers ne contenant que du son, le terme podcast émerge par la fusion des mot “iPod” et “broadcast” (qui signifie diffusion). Il désigne alors la “capacité d’un fichier son à être distribué sur Internet de manière à pouvoir être écouté en mobilité sur un baladeur mp3.” (Bouton, 2020). En France, on tente de le nommer “baladodiffusion”, mais cette intention est un échec et le terme podcast demeurera (excepté au Québec où il est toujours utilisé). En somme, quatre aspects le caractérisent :

le transfert de fichiers : c’est un fichier audio qui peut être téléchargé et transféré sur un baladeur numérique ; 
l’utilisation différée, car la lecture du fichier audio hébergé sur l’appareil numérique peut se faire à n’importe quel moment ;
le nomadisme, car l’appareil numérique qui était autrefois un baladeur, permet une écoute en tout lieux ; 
et enfin l’individualisation, car le baladeur faisant partie des premiers appareils utilisés pour une écoute nomade, permet aussi une écoute en solo.

Un lien étroit avec la radio

À ses débuts, le podcast était le support privilégié pour la rediffusion des émissions de radio. Il s’agissait donc de “replay”. Ce n’est que dans un second temps que les podcasts natifs font leur apparition. Un podcast natif est un “programme réalisé et produit pour être écouté sans passer par la grille d’une radio” (Bouton, 2020). L’offre est multiple : interview, formation, documentaire et il existe même des fictions. Comme pour les programmes télévisuels, ils peuvent être quotidiens, hebdomadaires ou mensuels et peuvent se présenter sous un format court ou plus long. Certains podcasts durent plus de deux heures.

Une ascension poussée par le Web 2.0

Depuis une dizaine d’années, le marché de l’audio connaît un développement des plus remarquables dont profite le podcast. L’arrivée d’internet, dans les années 1990, contribue à modifier les usages quant aux programmes de radio. En effet, les auditeurs se voient offrir la possibilité d’accéder à des émissions audio natives (Cohen, 2019) créées hors du cercle de la radio classique. L’introduction des flux RSS facilite également le mouvement du podcast. La multiplication des web radio a également contribué à creuser le sillon de l’opportunité audio sur l’espace numérique. En France, la chaîne télévisée Arte est précurseur dans la mise en ligne de programmes audio natifs sur le web avec la création de Arte Radio en 2002. Avec une certaine volonté de balayer des sujets qui ne sont pas forcément choisis pour plaire à une masse, sans toutefois tomber dans l’élitisme. Arte Radio peut donc être considérée comme une pionnière prescriptrice de podcasts en France.

Des thèmes influencés par un esprit “radio libre”

Les podcasts ont cette particularité de proposer des thématiques aussi variées que pointues. À sa création, le podcast emprunte l’esprit des radios libres imprégnées d’un fort caractère indépendant proche du média alternatif pour lequel tout le monde peut-être créateur et non plus seulement auditeur (Cohen, 2019). La nature même du podcast natif fait qu’il rencontre une “binarité” contraire. En effet, il répond à la “fragmentation des audiences” selon Rémi Bouton (2020). C’est-à-dire que par les innombrables thématiques qu’il peut aborder, il peut traiter de sujets qui intéressent une niche et donc atteindre un public “ultra spécialisé” tout en étant limité par cette même caractéristique. Car cette caractéristique l’empêche de figurer dans une programmation radio où les sujets doivent correspondre à une audience grand public. À l’inverse, la radio a réussi, grâce aux podcasts, à créer sa place dans l’offre numérique où règnent les services à la demande (tels que la SVOD). De nombreuses émissions de radio peuvent aujourd’hui être écoutées en replay sur les plateformes d’écoute.

2020 : une année particulièrement favorable à l’expansion du podcast 

Selon l’étude menée conjointement par le CSA et Havas, 14% des français âgés de 18 à 64 ans écoutent des podcasts toutes les semaines en 2020 contre 9% en 2019. Parmi les auditeurs hebdomadaires, 1 personne sur 10 (13%) a commencé pendant le confinement et 61% de ceux qui en écoutaient avant le confinement ont augmenté leur fréquence d’écoute durant cette période. Les écoutes se font via les smartphones, tablettes, ordinateurs ou enceintes connectées. L’écoute de podcasts est solitaire pour 73% des auditeurs. Le format du podcast a l’avantage de pouvoir être consommé dans plus de situations que pourraient l’être des contenus vidéos. Il s’adapte très bien à la mobilité : en voiture, dans les transports en communs, dans la rue. Les podcasts sont des pratiques de citadins provenant d’agglomérations moyennes à grandes (> 100 000 hab., 39%) et l’audience des podcasts est aussi très parisienne (28%). Enfin, c’est une activité plébiscitée par les millenials qui représentent 57% des auditeurs de podcasts (38% de 25-34 ans ; 19% de 18-24 ans). Pour les entreprises, le podcast est un format opportun pour toucher sa cible. En effet, 51% des auditeurs ont une écoute régulière de podcasts proposés par des marques, des entreprises ou des produits.

Le podcast, un nouveau terrain de jeu pour les marques et pour le marketing audio

Des opportunités économiques certaines

A la fin d’année 2016, la publicité est introduite sur les podcasts en France. Au commencement, elle concerne seulement une trentaine de podcasts des radios France Inter et France Culture. Un an plus tard, en 2017, le bilan est positif puisque ces publicités auront rapporté près de 200 000 euros de recettes. D’autre part, le marché du podcast outre Atlantique a de l’avance puisque en 2017, aux États-Unis, (FY 2017 Podcast Ad Revenue Study, June 2018) le chiffre d’affaires concernant les volumes publicitaires atteint les 314 millions de dollars contre 169 millions en 2016 soit une multiplication du CA par presque deux en une année. En 2020, le milliard n’est plus très loin pour les US puisque le palier atteint les 842 millions de dollars. De bonnes perspectives quant au marché du podcast en France…

Pour les radios qui enregistrent les chiffres d’audience les plus élevés, la monétisation des contenus n’a pas les mêmes enjeux que pour les créateurs de podcasts natifs. Pour eux, il s’agit d’une source de revenus supplémentaires. Pour les autres, le podcast n’est pas forcément rémunérateur. Les entités qui se lancent dans la production de podcasts natifs ont pour défi de trouver un modèle économique qui leur assure une certaine viabilité. Les trois possibilités qui se présentent sont : la monétisation grâce à la publicité, le financement par les auditeurs et la production audio pour des entités tiers (comme des marques). C’est sur ce dernier modèle que s’est construite l’activité de Binge Audio ou encore Nouvelles Écoutes. 

De la simple mention publicitaire aux podcasts brand content, le bon filon pour les marques 

Pourquoi les annonceurs sont-ils de plus en plus séduits par le podcast ? Parce que les audiences de ce format sont captives (comme on le dirait dans le jargon marketing). Les auditeurs de podcasts ont des pratiques qui font que leur écoute est “choisie, engagée et fidèle”. Comme dit précédemment, l’une des caractéristiques du podcast (natif) est qu’il investit généralement des niches et ses audiences sont en deçà de celles des podcasts de radios. En revanche l’audience des podcasts (natifs) est très ciblée et cette dernière porte un certain attachement à l’hôte. Le message publicitaire est d’ailleurs parfois directement énoncé par lui.

Puis les marques n’hésitent pas à diffuser des contenus en leur nom propre ou à jouer le rôle de sponsors, de manière plus ou moins visible. Par exemple, la FNAC a créé son propre programme de podcast : Infusion, qui met à l’honneur la création dans le domaine de la musique, du cinéma, de la littérature etc. Quant à ceux qui préfèrent la sponsorisation, on retrouve le podcast Tier List en partenariat avec l’organisme Les Produits Laitiers. Quatre animateurs experts de la culture hip-hop échangent autour de cinq albums et présentent le sponsor en milieu d’émission (jingle des Produits Laitiers suivi d’une question décalée en lien avec les fromages. Cela donne des moments complètement décalés comme celui où l’animateur demande : “Quel est le rappeur américain le plus proche des fromages?”, écouter le passage dans l’épisode 25).

Et puis quand le podcast croise d’autres formats

Des écouteurs à l’écran, il n’y a qu’un fil. Outre les médias qui créent leurs propres podcasts pour saisir l’opportunité de créer des contenus pour un public affinitaire à l’audio, certaines émissions télévisées déclinent leurs replays sous le format podcast. C’est le cas de certains programmes du média Clique depuis décembre 2020. La déclinaison en podcast de certains contenus vidéo de chaînes YouTube suscite l’intérêt. Nous pouvons par exemple citer la chaîne Youtube Hugodécrypte animée par Hugo Travers qui adapte en podcasts ses vidéos quotidiennes “Actus du jour”.  À l’inverse certains animateurs de podcats n’hésitent pas à en faire la captation vidéo, c’est le cas pour le podcast Tier List qui fait le choix de ne rendre disponible ses épisodes que sur son site internet ou encore pour certains épisodes du podcast Banh mi animé par Linda Nguon.

Conclusion

Est-ce que cette ascension du podcast n’est finalement pas une illustration du succès du format audio de manière plus globale ? Les précédents confinements et mesures de restrictions sanitaires ont fait exploser la plateforme ClubHouse passant de 3,5 millions de téléchargements à 8,1 millions en deux semaines (entre le 1er et le 16 février 2021). Les réseaux sociaux se sont glissés dans la brèche avec les Lives Audio Rooms pour Facebook et les Spaces de Twitter. Et, plus récemment, la plateforme de streaming musical Spotify a lancé son espace de discussion audio en ligne : Greenroom. Certains articles n’hésitent pas à nommer ce phénomène le “boom du social audio”. Réel engouement autour de ces réseaux sociaux de l’audio ou passe-temps éphémère ? Le podcast est indubitablement l’un des éléments accélérateurs de l’industrie de l’audio. 

Sources

Bouton Rémi, « Podcast : le grand retour du son », Nectart, 2020/1 (N° 10), p. 96-103. DOI : 10.3917/nect.010.0096. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-nectart-2020-1-page-96.htm

Cohen Évelyne, « La baladodiffusion : de la réécoute à la création sonore de podcasts », Sociétés & Représentations, 2019/2 (N° 48), p. 159-167. DOI : 10.3917/sr.048.0159 . URL : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2019-2-page-159.htm

Brachet Camille, « L’appropriation d’Internet par les médias « non-informatisés » : le cas des podcasts », Communication & langages, 2009/3 (N° 161), p. 21-32. DOI : 10.4074/S0336150009003032. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-communication-et-langages1-2009-3-page-21.htm

Comment les podcasts surfent sur leur succès, Les Échos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/comment-les-podcasts-surfent-sur-leur-succes-131421

We are social et Hootsuite livrent leur rapport annuel sur le digital en 2021, J’ai un pote dans la com : https://jai-un-pote-dans-la.com/we-are-social-et-hootsuite-livrent-leur-rapport-annuel-sur-le-digital-en-2021/

Cartographie des acteurs de l’audio, Le Pod : https://www.lepod.fr/cartographie

La radio perd son audience, La revue européenne des médias numériques : https://la-rem.eu/2020/06/la-radio-perd-son-audience/

Baromètre de la SVOD 2019, Médiamétrie : https://www.mediametrie.fr/fr/barometre-de-la-svod-2019

Étude Havas Paris x Institut CSA 2020, Ausha : https://podcast.ausha.co/paris-podcast-festival/les-franc-ais-et-le-podcast-natif-pre-sentation-de-l-e-tude-havas-paris-x-institut-csa-2020

Les revenus publicitaires des podcasts devraient dépasser le milliard de dollars aux USA en 2021, Offre Média : https://www.offremedia.com/les-revenus-publicitaires-des-podcasts-devraient-depasser-le-milliard-de-dollars-aux-usa-en-2021

Foodcast : les podcasts, une nouvelle expérience de la gastronomie par l’écoute, Malou : https://malou.io/foodcast-podcast-cuisine-nouvelle-experience-gastronomie/

ClubHouse bat des records de téléchargement, Presse Citron : https://www.presse-citron.net/clubhouse-bat-des-records-de-telechargement/

Spotify lance Greenroom sa plateforme concurrente de ClubHouse, Les Échos : https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/spotify-lance-greenroom-sa-plateforme-concurrente-de-clubhouse-1324948

Le boom du marketing audio, Zdnet : https://www.zdnet.fr/blogs/watch-it/le-boom-du-marketing-audio-39921457.htm

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