Le marché de la vente de données : l’activité des databrokers

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L’exploitation de nos données personnelles soulève de nombreux questionnements, notamment depuis les grandes révélations au sujet de la cybersurveillance en dissension avec la protection de notre vie privée. Malgré l’entrée en vigueur du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), les plateformes digitales et objets connectés continuent à collecter et diffuser nos données en usant de stratagèmes pour obtenir notre consentement afin de les revendre à des organismes privés.

LE MARCHANDAGE DE DONNÉES : UNE ACTIVITÉ LUCRATIVE

Le marché des données personnelles semble aujourd’hui plus que jamais convoité : le secteur a connu ces dernières années une croissance exponentielle, tant en valeur informationnelle que financière, attisant les convoitises des databrokers. Un marché estimé à près de deux cents milliards de dollars par Olivier Tesquet en 2021. (Tesquet, O. (2021). Etat d’urgence technologique. Premier Parallèle.)

Le databrokerage repose sur la collecte et la commercialisation de données auprès d’entreprises privées, provenant majoritairement de traces numériques laissées par les internautes sur le web lors de leurs recherches ou encore lorsqu’ils effectuent des achats en ligne.  Ces données, achetées par un annonceur auprès d’un spécialiste de la collecte de données, sont dites “données 3rd party”. (Benetreau, 2018, p.33)

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Un exemple concret de société spécialisée en databrokerage ? La société irlandaise Experian. 

Implantée en France depuis 1996, l’entreprise a connu un franc succès grâce à son produit “Mosaic”, proposant un profilage des foyers français en utilisant les bases de données d’une société du groupe La Poste et du groupe Orange (anciennement France Telecom). L’exploitation de ces nombreuses bases de données par les acheteurs permette in fine de prédire les intentions et habitudes de consommation de cibles données afin d’optimiser une stratégie marketing.

UNE COLLECTE DANS LE RESPECT DU RGPD, QUI SOULIGNE CEPENDANT SES LIMITES

Entré en vigueur en mai 2018, le Règlement Général sur la Protection des Données a permis de donner un cadre à la collecte et l’utilisation des données, et notamment sur leur marchandage. Ce dernier dispose que la vente de données reste légale “à partir du moment où les données clients ont été collectées en respectant le RGPD, c’est-à-dire avec le consentement de l’internaute ou prospects”.

La collecte en Open Data : une source d’opportunités pour les databrokers ?

Si de prime abord le concept de données publiques ouvertes (DOP) semble en contradiction avec les dispositifs mis en place par le RGPD, la loi Lemaire adoptée en 2016 en faveur d’une politique des sources ouvertes a quant à elle préparé le terrain pour les collecteurs de données. Ces derniers exploitent en effet une grande majorité d’informations à partir de registres publics (certificats de naissance, de mariage, de divorces, immatriculations de véhicules, décisions judiciaires), laissant la possibilité à terme d’identifier plus facilement des individus en croisant et recoupant ces quantités de données.

Les cookies et autres traceurs : décourager pour mieux consentir

La frontière entre l’autorisation de collecte éclairée et l’incitation à consentir reste obscure. Malgré l’application de la directive ePrivacy en juin 2020 concernant les cookies et autres traceurs, le parcours utilisateur sur la gestion du consentement reste pour la plupart du temps fastidieux et chronophage. À l’image du désintérêt des internautes pour la lecture des conditions d’utilisation sur les sites, l’aspect très contraignant des cookies pousse les individus à s’en débarrasser rapidement, en offrant le plus souvent leur consentement sans analyser leur contenu et leurs impacts potentiels. Les cookies constituent un obstacle aux nouveaux modes de lecture des internautes, qui misent sur la rapidité de navigation et de traitement de l’information : ils bloquent ces derniers dans leur processus de recherche et de lecture jusqu’à ce qu’ils effectuent une action afin d’être en mesure de poursuivre leur navigation. Certains sites misent quant à eux sur l’“obligation” de consentement ou d’abonnement afin d’avoir accès à leur contenu. Des mécanismes qui profitent aux databrokers et leur permettent de récolter des données plus ciblées, de profiler les internautes et leurs habitudes de consommation.

Pour aller plus loin sur ce sujet, le documentaire “Nos données personnelles valent de l’or” réalisé en 2021 par l’équipe de journalistes de Cash Investigation décortique en détails les méthodes de collecte des databrokers et tire la sonnette d’alarme sur ces pratiques et les difficultés de régulation rencontrées par la CNIL.

Promotion M1 Intelligence Economique 2021 - 2022