L’ingérence russe en Afrique : vers un affaiblissement de l’influence française ?

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Les années 1958-60 sont marquées par l’indépendance des anciennes colonies françaises composant l’Afrique-Occidentale française (AOF) et l’Afrique-Équatoriale française (AEF). Pour autant, l’influence française sur le plan économique ou politique dans la région va perdurer au-delà de cette période de décolonisation. En effet, la France s’illustre par de nombreuses interventions militaires sur le continent et une politique d’ingérence post-coloniale désignée par ses détracteurs avec l’expression « Françafrique ». Dans cette logique, les décennies 2000 et 2010 ne vont pas y faire exception avec le déploiement d’opérations militaires d’envergure.

L’opération Licorne en Côte-d’Ivoire (2002-2015) intervient dans le cadre des accords de défense entre les deux pays afin d’éviter que celui-ci bascule dans une guerre civile. L’opération Sangaris en Centrafrique (2013-2016) est déclenchée à la demande du président de l’époque François Bozizé, alors qu’une partie du pays est aux mains de milices armées. La présence française va se prolonger avec la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA) jusqu’en 2022. L’opération Serval au Mali (2013-2014), puis l’opération Barkhane dans la région du Sahel (2014-2022), est lancée à la suite d’un appel au secours lancé par le président de l’époque Dioncounda Traoré, alors que des groupes séparatistes touaregs menacent de prendre la capitale Bamako.

Ces différentes opérations militaires, symbole de l’interventionnisme français en Afrique, vont perdurer dans le temps. La présence française, un temps saluée et soutenue populairement, va progressivement être contestée au sein des sociétés civiles. C’est dans ce contexte que la Russie va tenter de jouer à partir du milieu des années 2010 sur le sentiment grandissant anti-français. Elle va entreprendre une politique d’ingérence en s’immisçant dans les affaires intérieures de nombreux Etats africains.

L’influence française en Afrique de l’Ouest et équatoriale

La France a trois bases permanentes dans la région avec des emprises au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon. Elles constituent des têtes de pont d’où sont parties la plupart des opérations françaises en Afrique. C’est ainsi que les premières forces d’intervention ont été pré-positionnées en Côte d’Ivoire avant l’assaut aéroporté sur la ville de Tombouctou au début de l’opération Serval en 2013. La présence de ces bases fait l’objet de débats, remettant en question leur existence, plus de 60 ans après l’indépendance de ces pays.

L’influence de Paris ne va pas se circonscrire à sa capacité de projection sur le continent, mais elle va ainsi se manifester sous divers aspects. Au travers notamment de son action sur la politique des pays africains francophones, sur l’économie de ces derniers, avec par exemple le franc CFA, ou par l’intermédiaire de nombreux accords.

En 2013, deux opérations militaires d’envergure vont être lancées par la France. La première, en Centrafrique, va se faire à la demande du président François Bozizé alors que le pays connaît une troisième guerre civile. Cette intervention va perdurer sous l’égide de l’ONU avec la MINUSCA. La seconde, au Mali, est lancée à la demande du président Dioncounda Traoré alors que des groupes séparatistes touaregs se sont emparés des principales villes du nord et menacent de descendre sur la capitale. Cette intervention va demander une réorientation stratégique, ainsi qu’un déploiement de milliers d’hommes dans la région.

Bien qu’un temps saluée et soutenue par les populations locales, la présence française va peu à peu être considérée avec défiance, le tout sur un fond d’animosité grandissante à l’encontre de l’ancienne puissance colonisatrice. Un événement marquant va illustrer ce ressentiment à l’égard des Français en novembre 2021. Un convoi militaire traversant le Burkina Faso sera arrêté durant plusieurs jours, bloqué par des manifestations burkinabés hostiles à la présence française dans le Sahel, responsable selon eux de la situation sécuritaire critique.

La stratégie d’ingérence russe dans la région

Malgré une intervention internationale sous mandat onusien, l’objectif de désarmer les différentes milices en Centrafrique n’a pas été rempli. Face à ce constat d’échec, le président Faustin-Archange Touadéra a fait appel aux services de la milice russe Wagner à partir de 2018. Cette dernière va réussir à stabiliser la situation dans une grande partie du pays, avec la complicité du pouvoir centrafricain, au prix d’une répression sanglante. En parallèle, le groupe russe va entreprendre une campagne de désinformation sur les réseaux sociaux à l’encontre de la France, présumée responsable de la situation.

Wagner est une société militaire russe créée en 2014 par Evgueni Prigojine. Le groupe a développé avec le temps de nombreuses compétences allant des opérations militaires aux opérations psychologiques (PsyOps). Souvent qualifiée de milice, elle est particulièrement présente en Afrique, et plus récemment en Ukraine où elle est considérée comme étant une branche du ministère de la Défense russe.

A voir, le reportage d’Arte sur « Centrafrique : le soft power russe ».

Le Mali connaît un nouveau coup d’Etat le 24 mai 2021 mené par le capitaine Assimi Goïta. Ouvertement anti-français, il trouve rapidement le soutien de la milice Wagner et exige le départ immédiat des forces de l’opération Barkhane du territoire malien. Un autre putsch a lieu au Burkina Faso le 30 septembre 2022, constituant un véritable effet d’aubaine pour la Russie qui a réussi à s’imposer comme alternative crédible. C’est ainsi que des drapeaux russes ont été brandis lors de différentes manifestations populaires au Sahel.

L’implication successive de forces armées non gouvernementales russes a systématiquement été accompagnée par des campagnes de diffamation à l’encontre de la France sur les réseaux sociaux. Cette volonté de propagande s’illustre également avec la production d’œuvres cinématographiques telle que le film Touriste glorifiant l’intervention russe en Centrafrique. Des théories complotistes sont largement partagées sur Facebook, principal réseau social utilisé dans la région. Parmi les plus populaires, il y a la théorie selon laquelle la France soutiendrait les groupes djihadistes ou bien commettrait des crimes de guerre.

Le pouvoir russe a également pu compter sur la mobilisation d’anciens réseaux hérités de la guerre froide. A titre d’exemple, l’actuel premier ministre de la junte malienne, Choguel Maïga, a étudié à l’Institut de télécommunications de Moscou dans les années 1980.

La position de la France face à la désinformation dans la région

En dépit d’une relative réussite militaire, le terrain du politique et de l’opinion publique semble être perdu. Ainsi, les dernières forces françaises ont quitté le territoire malien à la fin de l’année 2022. Il en est de même du territoire de la Centrafrique sur la même période. En janvier 2023, l’exécutif burkinabé a à son tour enjoint l’Elysée de désengager ses forces de son territoire avec un préavis d’un mois. En parallèle, des manifestations au Niger et au Tchad ont vu le jour demandant le retrait de l’armée française. Ces événements laissent présager d’un effet domino dans la région, malgré le soutien actif de certains pays comme la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara.

Dans le cadre de ce désengagement, l’Armée française quitte définitivement le camp de Gossi en avril 2022. Quelques jours plus tard, les forces maliennes accompagnées du groupe Wagner diffusent des images d’un prétendu charnier laissé par les soldats français à proximité de l’avant-poste. Très rapidement, l’État-Major des armées français va répliquer à travers le partage d’une vidéo prise depuis un drone montrant des miliciens russes en train de creuser dans le sable à côté de cadavres. Ces images permettent de prouver la mise en scène de faux charniers et renseignent des méthodes employées par les hommes d’Evgueni Prigojine visant à altérer les opinions encore favorables à la France.

A lire, la revue du livre « Les Moujiks, la France dans les griffes des espions russes ».

Pour Paris, la diffusion de ce type de contenu est une première en termes de communication qui marque un tournant dans la stratégie française face à la guerre informationnelle menée à son encontre. Dans la même dynamique, les pouvoirs politiques français ont annoncé envisager la création d’un média d’influence destiné à contrer la guerre informationnelle menée en Afrique. Face aux narratifs anti-français, le quai d’Orsay entend bien passer à l’offensive.

Une présence française contestée sur fond de guerre informationnelle avec la Russie

De plus en plus contestée, la présence française dans la région fait l’objet de vives critiques au sein d’une part grandissante des populations locales. Cette contestation se manifeste de plus en plus violemment comme lors de l’attaque de l’ambassade française à Ouagadougou en octobre 2022. L’Elysée s’est ainsi retrouvé enlisé dans une situation qu’elle ne semble plus contrôler. La Russie a réussi à se placer comme une alternative crédible dans les opinions publiques grâce à une stratégie prédatrice agressive, particulièrement sur le plan informationnel. Elle a en outre bénéficié d’un effet d’aubaine et d’un contexte anti-français favorable à son implantation.

Malgré un désengagement complexe, la France doit s’affirmer et entreprendre de répondre sur le champ de l’information afin de contenir la progression de l’influence russe et de la guerre informationnelle qu’elle mène activement.

Pour aller plus loin, vous pouvez lire cet article « Suspension de France 24 au Burkina Faso : l’accès à l’information est-il menacé au Sahel ? ».