Les fonds activistes dans le capital d’entreprises françaises, opportunité ou menace ?

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La presse française relate de plus en plus de prises de participation minoritaires de la part de fonds « activistes » dans le capital d’entreprises françaises pour in fine influencer la stratégie d’entreprise. Quels sont les objectifs de ces fonds activistes et pourquoi peuvent-ils constituer un risque pour les entreprises françaises ?

La mondialisation, qui débuta pendant la Guerre froide, a été le déclencheur de nouveaux terrains de conflits et de tensions. Si la guerre commerciale constitue l’une des principales sources de conflit au sein de la sphère économique, il y en a d’autres qui peuvent prendre des formes plus pernicieuses. La détention d’une partie du capital d’une entreprise par un agent économique lui confère des droits sur celle-ci, un pouvoir de décision sur les actions et les mesures que pourrait prendre l’entreprise. Ces mesures peuvent être positives et faire avancer l’entreprise, ou négatives et endommager sa structure.

Les fonds activistes investissent dans des sociétés et font pression, généralement sur sa gouvernance, pour entraîner un changement ou une évolution, pour le meilleur ou pour le pire.

Qu’est-ce qu’un fonds activiste ?

Un fonds activiste est un fonds qui prend des participations, souvent minoritaires et ne dépassant pas les 5% (seuil européen de déclaration obligatoire de prise de participations), dans le capital d’une entreprise afin de pouvoir influencer directement la stratégie de ladite entreprise. Plus simplement, ils prennent des participations dans des sociétés qui sont généralement cotées sans lancer d’Offre Publique d’Achat (OPA) hostile. 

On distingue deux sortes d’activisme actionnarial selon l’Autorité des Marchés Financiers (AMF)

  • L’activisme dit « long » : l’investisseur va entrer dans le capital d’une entreprise par conviction que la société est sous-évaluée. Son objectif sera alors de tirer personnellement des fruits de changements de stratégie ou de gouvernance sur le long terme. Ces actions peuvent prendre du temps.
  • L’activisme dit « short », ou « short-sellers » : l’investisseur va prendre des positions sur les marchés financiers sur l’entreprise tout en informant les médias de la sur-évaluation des actions pour tenter ainsi de faire baisser le prix de l’action et tirer bénéfice rapidement. C’est une pratique qui est très réglementée, l’AMF est gardienne des règles de transparence sur les marchés financiers et condamne les fausses déclarations.

En France, ce type de prises de participation est relativement récent et prend de l’ampleur depuis quelques années. Le phénomène est de plus grande ampleur aux États-Unis, qui ont une structure actionnariale plus dispersée que celle de la France. En France, la tradition de financement des entreprises correspond plus au capitalisme rhénan, ou capitalisme germano-nippon, avec un actionnaire de contrôle détenant une écrasante majorité des parts, un système de protection sociale et de forts syndicats qui évitent ainsi la majorité des conflits sociaux.

Cependant, comme l’analyse Michel Albert dans son ouvrage Capitalisme contre Capitalisme (Seuil, 1991), c’est le capitalisme anglo-saxon qui s’impose peu à peu comme modèle à suivre. Les actionnaires ont de plus en plus de pouvoir et l’on retrouve dans les entreprises anglo-saxonnes des structures actionnariales dispersées entre plusieurs actionnaires minoritaires, principalement des fonds d’investissement. 

Aujourd’hui, le marché états-unien arrive à maturité et les fonds se tournent vers l’Asie et l’Europe. Si on ajoute à cela l’essor des investisseurs passifs, lié au changement progressif de la structure de l’actionnariat, cela explique peut-être la montée des fonds activistes dans le capital des entreprises françaises.

Cette montée de ces fonds dans le capital des entreprises françaises inquiète les pouvoirs publics et nécessite de légiférer afin de privilégier la transparence et éviter les prises de position qui seraient à risque pour les entreprises.

Les fonds activistes, une opportunité ?

Les fonds activistes peuvent être une opportunité pour les entreprises, pour plusieurs raisons.

L’arrivée d’un fonds activiste dans le capital d’une entreprise peut lui redonner de la vivacité et l’inciter à innover. Aux Etats-Unis, l’annonce de l’arrivée d’un fonds activiste (Hedge Fund) dans le capital d’une entreprise suffit à faire augmenter le cours de l’action de ladite entreprise d’environ 7% selon un article du Journal of Finance écrit par Alon Brav, Wei Jiang, Frank Partnoy et Randall Thomas. Selon ce même article, l’entrée dans le capital d’actionnaires activistes augmente le nombre de brevets, stimulé par l’augmentation de la recherche et de l’innovation. Les auteurs y voient un lien de causalité entre l’activisme actionnarial et l’innovation.

La principale cible des fonds activistes sont les entreprises qui vont mal, qui ont une mauvaise gestion conduisant à la dévalorisation de leur titre en bourse. Alors, comme l’objectif des fonds activistes est de maximiser les profits, l’arrivée de fonds activistes dans le capital d’entreprises en difficulté peut être salutaire. L’action du fonds activiste fait monter la cotation de l’entreprise, ce qui engrange des bénéfices pour l’entreprise et des dividendes pour les actionnaires.

Le fonds activiste agit comme un actionnaire majoritaire parmi les actionnaires minoritaires. Cela lui permet de faire pression sur les autres actionnaires minoritaires afin d’obtenir une coalition et ainsi une voix plus importante au conseil d’administration de l’entreprise. Le plus souvent, le fonds activiste cherche, dès son entrée, à remanier la gouvernance de l’entreprise, notamment lorsque celle-ci est jugée comme défaillante ou insuffisante. Cette pratique est très critiquée car elle est aussi vue comme un moyen de déstabiliser l’entreprise.

C’est ce qu’il s’est passé avec l’éviction d’Emmanuel Faber de sa position de président de Danone. Deux fonds activistes, Bluebell Capital Partners (fonds originaire du Royaume Uni) et Artisan Partners (fonds états-unien) sont à l’origine de ce changement de gouvernance. Ils considéraient que la politique concernant les critères Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance (ESG) mise en place par la direction n’étaient pas satisfaisantes au regard de la rentabilité de la société, notamment pendant et après la crise engendrée par la pandémie de la Covid-19. Le but poursuivi par les deux fonds étaient de revaloriser la société en bourse avec un changement de cap de gouvernance.

On le voit parfaitement avec cet exemple, l’activisme actionnarial force les dirigeants d’entreprises cotées en bourse à se montrer vigilants, tant au niveau des critères ESG qu’ils doivent poursuivre, de l’éthique de l’entreprise, de sa rentabilité et du cours de son action. 

Dans la meilleure situation possible, les fonds activistes participent à la bonne formation des prix sur les marchés, réduisant la spéculation, la sous-évaluation et la surévaluation de la valeur d’une entreprise. C’est ce qu’indique la fondatrice et présidente de CIAM (fonds activiste français), Anne-Sophie d’Andlau, dans une interview au profit des Échos Capital Finance le 9 octobre 2017 : « […] Pour faire simple, nous [CIAM, ndlr] intervenons quand il y a un sujet de sous-valorisation. Notre mandat, quand nous devenons activistes, c’est d’aller chercher le juste prix et de fermer ce « gap de valorisation » de façon active ».

Cependant, si l’action des fonds activistes semble être bénéfique pour les entreprises, ce n’est pas toujours le cas. Certains fonds abusent de leur pouvoir sur le conseil d’administration afin de retirer un maximum de bénéfices en peu de temps, déstabilisant complètement l’entreprise et pouvant la mener à sa faillite.

Une menace à peine voilée de la part de certains fonds

En entrant dans le capital des entreprises et en créant une coalition avec d’autres actionnaires minoritaires, les fonds activistes imposent leurs volontés au conseil d’administration. Leurs actions ont des conséquences positives, si la côte de l’entreprise augmente, mais elles peuvent avoir des revers négatifs.

Le fonds activiste américain Third Point, en entrant au capital de la société d’agro-alimentaire Nestlé, a souhaité recentrer l’activité du groupe sur son cœur de métier. La firme suisse a ainsi vendu sa filiale d’assurance Gerber Life et sa filiale de soins cosmétiques Nestlé Skin Health. Le jour même de l’annonce de la vente de la filiale cosmétique en 2018, le titre de Nestlé prenait 0,78%. A première vue, la pression de Third Point pour le recentrage des activités de Nestlé paraît bénéfique. C’est sans compter le licenciement possible des salariés de Nestlé, créant ainsi une crise sociale. Les fonds activistes, par leurs actions, peuvent impacter la vie des salariés des entreprises. 

C’est ce qu’il s’est aussi passé avec l’entrée du fonds activiste Elliott dans le capital de la société française Pernod-Ricard en décembre 2018. Le fonds américain avait estimé que l’entreprise devait faire près de 500 millions d’euros d’économie, en réduisant les emplois et en délocalisant certaines fonctions. 

La menace sur l’emploi n’est pas la seule. On peut prendre l’exemple de Latécoère ou encore du fonds américain Muddy Waters et de son raid sur le distributeur Casino et ses holdings. Muddy Waters est un fonds qui vend à découvert, c’est-à-dire la « vente d’une action ou d’un titre de créance dont le vendeur n’est pas propriétaire au moment où il conclut l’accord de vente […] ».

Dans cette affaire, Muddy Waters, sans être propriétaire d’actions de Casino, a publié un rapport indiquant que l’action de Casino était largement surévaluée. L’action a chuté dès la sortie de ce rapport, ce qui a permis à Muddy Waters de gagner de l’argent sur cette dévaluation. L’enquête de l’AMF a été clôturée en 2019, sans qu’aucun des faits reprochés ne mène sur une condamnation. Cependant, ce qui peut être condamnable concernant le comportement de Muddy Waters, c’est la manière accusatrice qui a été choisie pour présenter les informations, déformant ainsi la portée des faits.

La plus grande menace des fonds activistes est donc l’abus de ceux-ci face à une entreprise. Tous les moyens d’action des fonds activistes peuvent être dévoyés, afin de faire du profit rapidement. Les fonds activistes qui pratiquent l’activisme « short » sont les plus à craindre. En effet, ils n’ont pas intérêt à faire durer l’augmentation du cours de l’action, mais plutôt à l’augmenter rapidement afin de pouvoir maximiser leurs profits.

L’autorité des marchés financiers doit donc réguler le marché afin d’éviter les abus de la part des fonds activistes, notamment étrangers. L’action des fonds activistes en France reste limitée, mais est en augmentation, notamment avec le changement de la législation. L’Union Européenne participe à la réglementation, mais chaque pays de l’Union a ses spécificités. La France reste aujourd’hui en retard dans la législation, même si le rôle de l’AMF est de plus en plus étendu.

Cependant, l’AMF reste une petite agence, avec peu de moyens. Les enquêtes sont longues, ce qui peut impacter grandement les entreprises et les salariés. 

Prendre en main les risques liés à l’actionnariat 

L’action étatique, via l’Autorité des Marchés Financiers, n’est pas l’unique moyen de protéger l’entreprise. Une entreprise est aussi un acteur de sa propre protection. Le rapport d’information de l’Assemblée Nationale relatif à l’activisme actionnarial, co-rapporté par MM. Eric Woerth et Benjamin Dirx, indique que l’un des moyens de protection des entreprises contre des actionnaires activistes réside dans “l’évaluation critique de leur [les entreprises] situation actuelle”. Selon Thomas Rich, associé-gérant chez Lazard, “s’il y a une possibilité d’accélérer la création de valeur, à court ou à long terme, il y a un risque qu’une entreprise se retrouve confrontée à la pression de ses actionnaires”. Dès lors, l’intelligence économique peut jouer un rôle d’anticipation des risques, afin de prévenir les risques d’activisme des actionnaires. 

La création de valeur indiquée par Thomas Rich n’est pas le seul enjeu à prendre en compte dans l’anticipation des risques. Les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) regroupent informations extra-financières qu’il convient de prendre en compte dans l’analyse de l’environnement de l’entreprise. 

Finalement, l’activisme actionnarial a des bons et des mauvais côtés. Maîtriser l’actionnariat de son entreprise devient alors vital, afin d’éviter les prises de participation minoritaires qui pourraient avoir plus de poids que les actionnaires majoritaires et ainsi faire courir des risques à l’entreprise. 

L’activisme actionnarial devient une menace importante sur la pérennité d’une entreprise et des mesures proactives doivent être prises par les dirigeants afin de pouvoir protéger leurs entreprises. La gestion des risques et leur prévention est alors un outil nécessaire pour la protection des entreprises.